Le 3 octobre, François Fillon a eu enfin le courage d’évoquer la suppression du bouclier fiscal. Ce faisant, il a libéré une centaine de députés UMP des foudres élyséennes. Ceux-ci ont concocté un amendement au projet de budget 2011 à l'Assemblée Nationale. Celui-ci prévoit la suppression du bouclier fiscal, mesure emblématique de l’iniquité du quinquenat sarkozien et celle, non moins symbolique mais cette fois pour la gauche, de l’impôt de solidarité sur la fortune.
Ces 117 frondeurs veulent compenser les quelque 3 milliards de ressources qui viendraient à manquer pour l’Etat par "l'imposition des revenus du patrimoine, ainsi que par la création d'une nouvelle tranche d'impôt à 46% pour les revenus supérieurs à 100.000 euros. Il faudra y voir de plus près. Comme Jean Marc Ayrault, on peut ne pas être d’accord avec la suppression de l’ISF, ou vouloir son remplacement par des taxes sur les plus-values comme le souhaite Jérôme Cahuzac…
Pour moi, l’important n’est pas là pour l’instant. En matière de fiscalité, l’essentiel est d’être persuadé qu’il faut remettre tout le système fiscal en chantier, au niveau national, local et européen. De ce point de vue scandaleux (ou pire inconscients) sont les mensonges du Président de la République qui assurait encore en Juillet qu’en Allemagne le bouclier fiscal était inscrit dans la Constitution alors qu’il n’existe pas dans ce pays. Cesser de mentir et de se mentir est une urgence. Les deux tiers des français sont opposés au bouclier fiscal. Quant à l'ISF, qui n'existe dans aucun autre pays d'Europe, il n’est pas vain d’envisager qu’il puisse nuire à l'attractivité fiscale de notre pays en induisant 7 milliards d’évasion fiscale hors de France par an. Enfin, concevoir une révolution fiscale nationale sans y intégrer sa dimension locale serait une aberration et une nouvelle manifestation du mépris du centralisme étatique pour la France des Territoires.
La Cour des Comptes est aussi en train légitimer la fronde qui prend forme contre les dogmes fiscaux. Son Conseil sur les Prélèvements Obligatoires (CPO) a estimé dans son rapport du 6 octobre que les niches fiscales et sociales profitant aux entreprises sont elles aussi de plus en plus coûteuses et pas toujours efficaces. Entre 2002 et 2010, tous les ans, près de 12 niches fiscales ont été créées et le nombre de dispositifs d’exonérations sociales a également augmenté considérablement. Ainsi, le CPO pointe que la TVA réduite à 5,5 % dans la restauration a un «impact limité sur l’emploi pour un coût élevé » (3 milliards d’euros par an) et que l’exonération d’impôts et de cotisations pour les heures supplémentaires a un effet « ambigu » sur l’emploi tout en coûtant à l’Etat 4 milliards d’euros. Deux autres mesures phares du paquet fiscal sarkozien sont donc remises en cause…
L’Etat prévoit de récupérer 9,4 milliards de recettes l’an prochain en rabotant quelques unes de ces niches. Mais, pour le CPO, les marges de manœuvre sont bien plus grandes. Selon lui, l’ensemble des économies pourrait permettre de récupérer entre 15 et 29 milliards d’euros. Cette manne seraient bienvenue pour financer les allocations de solidarité APA (Allocation personnalisée d'autonomie), PCH (Prestation de compensation du handicap) et RSA (Revenu de solidarité active) dont les départements assumeront cette année la charge à hauteur de 13,68 milliards d'euros, alors que l’Etat ne compensera plus que 7,64 milliards et que la Réforme de la taxe professionnelle les prive de ressources locales suffisantes. Sans rééquilibrage nationale de ces trois allocations individuelles de solidarité, les départements ne seront plus en mesure, dés 2011, de les assurer.
Toute refonte du système fiscal dans notre pays doit prendre en compte la dimension locale. De ce point de vue, s’il est un seul « bon point » à accorder ces dernier temps au Président Sarkozy, c’est d’avoir demandé à la Cour des Comptes un rapport sur le rapprochement des systèmes fiscaux allemands et français. Ce rapport lui permettra certes de justifier l'abandon de ses nombreuses promesses de 2007 sur la fiscalité et les impôts mais il démontrera aussi, je l’espère, que si l’on veut sauver l’Europe de ces déficits publics et de la spéculation sur les taux de changes par une convergence des politiques franco-allemandes économiques et sociales construite sur la fiscalité, il faudra en priorité en France réviser la nature des rapports entre l’Etat et ses Territoires et, pour cela concevoir un grand acte II de la Décentralisation reposant une nouvelle autonomie politique et fiscale pour les collectivités territoriales.